Georges Brival est un créatif audacieux. Créatif, non pas au sens que l’on attribue aux inventifs de la publicité, encore qu’il ait été lui-même un professionnel de la publicité, mais au sens où, toute sa vie, il a toujours fait preuve d’un idéal créatif perpétuellement recommencé.
On pensera bien sûr à tout ce qu’il a imaginé et mis en œuvre dans le domaine de la voile, et notamment cette dimension visionnaire qui l’a conduit à la création du tour des yoles, cette compétition passionnante qui est devenue une fête désormais inscrite dans notre patrimoine, mais on évoquera surtout toutes ces idées mirifiquement concrétisées pour nous offrir, dans les années 1960, des lieux où la musique martiniquaise et caribéenne pouvait s’exprimer.
Il faut se rappeler qu’à cette époque les lieux d’expression musicale et de danse étaient des espaces loués ou mis exceptionnellement à disposition, telle la salle de La Française pour le bal des classes terminales ou les salons de la préfecture pour le bal de la Croix-Rouge. Nous étions loin de l’époque des casinos du début du siècle et singulièrement du Select Tango ou du Casino Bagoé. La Martinique était, en ces années qui annonçaient le tournant de la modernité, démunie de lieux festifs où les musiciens pouvaient s’exprimer.
C’est alors que Georges Brival rencontre le docteur Rose-Rosette qui dirigeait l’Office du tourisme, chargé de dynamiser la vie culturelle et festive du pays. Avec ses économies, Georges Brival réalise un projet qui fera date dans l’histoire de la musique et de la danse en Martinique : La Bananeraie. Ce lieu festif situé au Lamentin et ouvert tous les jours, excepté le lundi, deviendra l’espace incontournable des amateurs de musique et de danse.
L’idée géniale de Georges Brival reposait alors sur trois éléments innovants. Le premier correspond à l’évolution considérable de l’usage de l’automobile qui permettait alors aux Martiniquais de se déplacer vers un espace non urbain, alors que de tels lieux s’étaient limités à Fort-de- France.
Le second élément, tout aussi novateur, était l’aménagement et le design inspirés de l’environnement rural, élément qui contribuait à donner à l’espace un caractère tropical dû aux effets décoratifs des plantes du terroir utilisées.
Le troisième élément – et non des moindres – fut le choix de l’orchestre : Georges Brival fit venir en Martinique l’orchestre Tropicana avec les chanteurs Jo Lavaud, Louis Lahens et le chantre du boléro, Gary French. Ces musiciens nous offraient une musique nouvelle qui venait d’Haïti, le compas direct, jouée par une formation animée par des soufflants remarquables.
L’innovation est indiscutable, mais nous sommes loin de l’industrie des biens culturels. Au contraire, La Bananeraie fut un espace convivial correspondant au sens de l’accueil de Georges Brival. On vient de partout, mais on s’y retrouve entre amis. C’était l’époque d’une nouvelle présence, mais c’était l’époque d’une présence cordiale, rien d’artificiel, rien de surfait, absence totale du factice.
Infatigable novateur, il conçoit alors un nouveau projet, qui sera La Moïna, un dancing animé par Marius Cultier et son ensemble Les Wabaps qui se produisaient avec les chanteurs Milo Bodin, Jo Barbot et Lola Martin.
« Bâtisseur d’un insolite demain », comme dirait Césaire, Georges Brival demeurait fidèle au pays, quand bien même il avait perçu que l’horizon de l’avenir musical du pays annonçait la modernité des années soixante et les changements circonstanciés.
Qu’il en soit remercié.
André LUCRECE
